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Wednesday, August 31, 2005

Haïti - République Dominicaine : « le mât de cocagne »

Les nouvelles ne sont pas bonnes pour l’île Quisqueya. Les rapatriements massifs d’haïtiens occupent ces derniers temps les grands titres des médias à l’ouest comme à l’est de l’île. Une véritable détresse humaine est constatée à la frontière. Et pourtant, depuis de longues années, des organisations haïtiennes et dominicaines des droits de la personne n’avaient de cesse de dénoncer une situation problématique pour les deux pays.

Un ancien responsable de l’Office National de Migration (ONM), M. Carol Joseph notait il y quelques années que, la détérioration des conditions d’existence de la paysannerie d’Haïti contribuait à la poussée migratoire. Il expliquait, en outre que « les funérailles » de l’embauchage, en 1986, ne tenaient guère compte des réalités socio-économiques entre les deux nations qui se sont franchement détériorées dès la décennie 1980.

Un ancien diplomate haïtien et historien a moult fois tiré la sonnette d’alarme sur la question et, sur un plan institutionnel ou médiatique tenté de plaider pour l’ouverture de sérieuses négociations avec nos voisins, sur cette épineuse question migratoire. En mai 2001 le professeur Guy Alexandre écrivait, en effet : « la chute de la dictature entraînant la fin des contrats d’embauchage des années 76/86, à ouvert une situation de totale anarchie dans la gestion du fait migratoire et cela des deux côtés. Renforçant inévitablement les pratiques attentatoires aux droits des personnes … ».

Le professeur ne jouait point au ‘’cassandre’’, diplomate tourmenté par les relations difficiles entre deux pays condamnés à s’entendre, il a, sous plusieurs gouvernements, cherché désespérément l’appui institutionnel nécessaire à une approche plus cohérente de cette problématique. Signalons au passage, l’action militante et têtue d’une organisation comme le GARR pour la sauvegarde des droits des rapatriés.

L’absence de suivi, les faibles ressources de notre diplomatie, quand il ne s’agissait pas de négligence grave, ont transformé, en véritable « mât de cocagne », l’itinéraire douloureux de nos migrants.

Pour les jeunes lecteurs, le « mât de cocagne » ou « maswife », désigne ce poteau, jadis planté, au milieu du Champ de Mars, suiffé à souhait, que des jeunes aux bras vigoureux devaient grimper pour atteindre le sommet. Le mât particulièrement glissant, constituait un véritable défi « sisiphien » pour les compétiteurs qui s’y risquaient.

L’écrivain René Depestre en a fait le titre d’un de ces romans à succès.

Si l’image peut nous aider à mesurer les dérobades et autres dérapages de la politique haïtienne sur la question migratoire, l’actualité, elle, est bien plus triste.

Elle a même rendu dubitatif, un ambassadeur de bonne volonté, poète et diplomate qui commençait à jeter du baume sur nos blessures réciproques.

Hirondelle venue de l’est, qui n’annonçait certes pas le printemps, mais dont le chant avait le charme d’une grande espérance.

Dans ce drame qui se joue au quotidien, des voix s’élèvent fermes et dignes, comme celle de la présidente du GARR –Madame Lespinasse. Drapée dans sa dignité et sa souffrance en réceptionnant les « jeunes cadavres » à la frontière, elle n’a cependant pas sombré dans le « Voye monte », refusant l’amalgame pour ne pas faire le jeu des machinateurs de nos troubles. Elle a mis l’accent sur la nécessité d’offrir un avenir à ceux qui partent le chercher ailleurs. Christian Rousseau, dont le parcours chez les sages, mérite d’être relevé, a lui aussi pointé du doigt la misère qui pousse un peuple hors de ses frontières, et qui, pose réellement un problème social à nos voisins, sans que cela justifie nullement l’horreur.

Les problèmes avec nos voisins sont d’autant plus douloureux qu’ils nous sont affectivement et géographiquement proches. Mais l’exode participe d’un mal être profond à extirper de notre société et qui a pour origine la misère et l’insécurité.

Nous avons beaucoup d’alliés en terre voisine, il faut par une politique intelligente travailler avec eux en réseau pour isoler les quelques mandarins au racisme atypique qui ont malheureusement pignon sur rue. Tout en prenant bien sûr nos responsabilités en sachant que notre trop plein d’immigrants peut faire « capoter » l’île et provoquer des vagues dans toute la Caraïbe. C’est le moment de « rebati Kay la » comme dit la chanson, les partis politiques doivent en urgence sortir leur projet de société et le dialogue national se faire plus « agressif »

Un sursaut national est nécessaire, pas un nationalisme cocardier à consommation électoraliste, mais une prise de conscience « tèt frèt » sur le fait que depuis deux cent ans, nous avons un territoire que nous ne savons pas encore habiter.

La semaine dernière à Oslo, nos responsables politiques et de la société civile se sont livrés à un exercice sur l’avenir d’Haïti, dans le climat très tempéré de Norvège. Revenus sur les tropiques, ils auront besoin de cette même tempérance, d’un sens du compromis vital pour la survie de la nation, les idées devront prendre le pas sur les projets fratricides et la politique en Haïti décriminalisée.

Nous le devons à tous ces cadavres qui s’accumulent depuis Cayo Lobos, à ces jeunes corps enveloppés du bicolore reçus la semaine dernière, à l’utopie d’un de nos plus grands poètes, le rêveur de ces « îles qui marchent ».

Roody Edmé

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