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Friday, February 02, 2007

L’univers des plaies intérimaires

« Pour une dame imaginaire

Aux yeux couleurs du temps

J’ai rimé longtemps, bien longtemps :

J’en étais poitrinaire. » Toulet / Contre rimes

Poèmes à mettre en dentelle, paroles à tisser des souvenirs, mots irradiant de beauté à décorer nos rues déprimées, abandonnées et sales à la veille du jour de l’an. Ce sont ces phrases qui me sont venues en lisant " Les plaies intérimaires " de Willems Edouard tant ce recueil ouvre les fenêtres d’un monde de tous les fantasmes, une aventure qui explore tous les possibles dans une langue parfaitement maîtrisée, celle des poètes, des vrais.

La quête obsessionnelle de beauté du poète participe d’une certaine subversion ; autant que puisse l’être le grand art dans un environnement qui vous aspire vers le fond.

Cet écrivain à l’apparence fragile et timide masque un intérieur en pleine ébullition, à l’instar de ces montagnes millénaires qui cachent au fil des siècles des magmas incandescents qui finissent par sourdre… un lundi d’octobre. Et c’est alors la fête des éléments, l’éveil des sens et de la vie : « Tout le printemps du monde contredanse sur la joliesse des feuillages et les parois des falaises… un après-midi de soleil nègre. »

Tout ce déluge de mots prépare un rapport fusionnel au monde dans une agitation où le sacré se mêle au profane, l’illusion à la réalité : " Ô extase d’errer… Qu’est-ce que ma langue sinon un ébloui de poème." Une sorte d’état de bonheur permanent comme pour faire un pied de nez à la misère, la violence gratuite, tout cela conjurer par une terrible danse, de guédé, peut-être ou des « reins en roue libre sous un verger… attisent cette étoile illuminée et c’est tempête dans la plaine des pucelles. » Vous parlez d’un hymne à la beauté ! D’une architecture baudelairienne : « La mort se réjouit dans l’ivresse du péché » ou pourquoi pas d’une ivresse rimbaldienne « je regarde une symphonie se blottir dans ta crinière mandoline…me voila en toi fumant d’absence. ». Univers mallarméen ? Mais qu’importe ! La poésie ne connaît ni dieu ni maître disait Georges Castera à Garry Augustin.

Et puis par moments au fil des pages, cette présence féminine aux corps multiples, médium pour dire un rapport particulier au monde, saisi du monde par les sens qui vient bousculer nos certitudes, notre médiocre confort intellectuel pour un appel au grand large ou « L’aboiement des voiles étoile un trio d’effroi… Inde. ». Une invitation au voyage sur " la mer mouvante meuglant la mort." Ô destin d’insulaire. Il s’agit entre autre, dans ce recueil, d’un va-et-vient permanent entre deux mondes celui de l’absence, du manque : " constellation orpheline d’une étoile fauve" et celui de plus en plus obsédante d’une femme de rêve ou du rêve de femme « Je ne sais quel parfum fait du printemps un jardin qui te ressemble ». L’univers des " plaies intérimaires" embrasse toute la planète littéraire et j’ai cru entendre le tamtam sourd et lointain qui résonne dans la poésie de Senghor, il y trouve un écho puissant dans le flot lyrique de l’écriture échevelée de Willems Edouard : « Ecume du soleil la caravane à ton cou … tes cheveux… fête de flots païens tels marées d’abeilles qu’ondule la feuilleuson. »

On peut se laisser aller à lire le poète comme si on partait à la découverte d’un trésor et découvrir au détour d’une page briller une « pupille en pépites de désirs illuminés. ». La poésie ici devient un geste en direction du monde, un don qui cherche à réparer l’oubli du monde dans les discours conceptuels.

L’écriture de Willems est travaillée et respire l’odeur des champs. Il est proche de R. Chassagne et de Phelps par cette recherche de la pureté, ce travail au " burin" du parfait styliste. Un travail qui réjouit le lecteur par ces temps de squatérisation du langage. De ce labour sort extirpée, une perle, qui dit la fluidité du monde.

Roody Edme


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