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Friday, February 02, 2007

« AU NOM DU PERE »

« Ce que l’on fait est ce que l’on est » disait le philosophe Bergson. Cette pensée est de nouveau éclairée par les feux d’une actualité dominée par la mort de l’abbé Pierre. Celui-là même qui en 1954 lança un appel historique, lorsqu’une femme puis son bébé moururent de froid : « Mes amis, au secours… une femme vient de mourir gelée cette nuit … sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Devant leurs frères mourants de misère, une seule option doit exister entre les hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure » . Ces paroles résonnent encore comme une « volée de cloches », le tocsin d’une humanité en détresse et, l’homme qui les a prononcées est resté fidèle à son credo au point de mettre sur pied dès 1949, une formidable organisation celle des « compagnons Emmaüs » présente dans des dizaines de pays.

La solidarité prônée par ce prêtre s’est faite action et a soulagé la misère des milliers de pauvres un peu partout dans le monde. « Et de même que le talent du peintre se forme et se déforme, en tout cas se modifie, sous l’influence même des œuvres qu’il produit » pour citer Bergson, l’œuvre de l’abbé Pierre a modelé sa personnalité qui n’a cessé de grandir aux yeux de tous. Prêtre et résistant pendant la seconde guerre mondiale puis pèlerin infatigable d’une charité agissante, le petit abbé a refusé de considérer la pauvreté comme une fatalité. Il refusait pour les démunis cette appellation de « mendiants », il les rendait plus dignes et cherchait en leur fournissant logement et travail à compenser l’impéritie de l’Etat. Son parcours est d’autant plus remarquable qu’il a réussi là ou d’autres se sont laissés corrompre ou récupérés. Ce n’est pas facile de résister aux sirènes du pouvoir et aux appels tentants de “ dame corruption” qui a souvent pour “ breloques ” l’horreur et le meurtre.

Celui qui a cru jusqu’au bout dans le potentiel subversif de son « insurrection de la bonté » était familier des coups de gueule qui dérangent. Tout en visitant la cour des grands pour porter la parole des pauvres il savait que la politique pouvait corrompre jusqu’aux os. Pourtant, il était convaincu que c’est par la politique et la communication qu’on pouvait changer les choses de ce monde. Le petit abbé devint donc très vite le personnage le plus médiatisé de France, un chantre de la transparence, « une forêt de signes » pour reprendre Roland Barthes. Sa coupe de cheveu conçu pour atteindre un équilibre neutre entre la discrétion et le mépris des conventions rejoint selon le sémiologue « L’archétype capillaire de la sainteté ». L’homme à la barbe faisait le lien mythique, irréel entre l’aura révolutionnaire d’un Castro de la première heure et celle tout aussi hors normes d’un François d’Assise.

L’originalité de cet abbé des pauvres réside dans son humanité profonde. Il avoua récemment avoir eu des rapports sexuels dans son jeune âge comme pour satisfaire à un vœu que Dieu et la nature ont inscrit dans nos gênes et que les dogmes refusent. Au moins, ce prêtre savait que pour être “ pur” il ne fallait pas nécessairement se “ purger” de son humanité. Son contemporain, Jean Paul Sartre aimait écrire : « Ainsi suis-je sans repos : toujours obligé de reprendre à mon compte, de prendre la responsabilité de ce dont je ne suis pas responsable… totalement détermine et totalement libre… de faire de ce déterminisme, un engagement de plus » .

Pourvu que l’hommage rendu à cet “ insurgé de Dieu” ne soit pas comme le pensait Barthes « un alibi pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice ». En attendant, ceux qui croient que l’autre monde n’est pas que sornettes pensent que l’abbé qui a lutté toute sa vie pour les sans-logis trouvera « un petit coin de paradis ».

Roody Edmé

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