Édito 8 janv. 07 du ''Matin"
La leçon des Gonaïves
Par Roody Edmé
Le Premier janvier 2007, la foule est conviée sur la place d’armes pour un événement d’une solennelle gravité, en présence des grands corps de l’Etat et des représentants de la communauté internationale. Il s’agit du 203eme anniversaire de notre indépendance. Par delà les appels à l’unité lancés par le président de la République (voir l’éditorial de Claude Moise du 5 janvier), les observateurs ne pouvaient rester indifférents aux crispations, cris et chuchotements qui émanaient de cette foule de citoyens réunis autour de l’autel de la patrie.
Ce n’est pas tant l’expression démocratique des désaccords qui a embarrassé plus d’uns, sinon la manifestation de sensibilités ‘‘claniques’ dans un tel cérémonial du souvenir qui rappelle à l’encre forte l’idéal d’unité des pères et mères de la patrie. Je veux dire que le rassemblement de la place d’armes n’était pas un meeting électoral et pourtant, on a senti la manifestation de certaines impatiences politiques et le désir déjà de combler un vide même virtuel. Tout le monde sait que la maladie infantile de notre société est l’envie démesurée de pouvoir. Et cette pathologie du corps social adopte des formes récurrentes tout au long de notre histoire. Elle constitue sans aucun doute, un des ferments de l’instabilité chronique qui a trop souvent plombé notre vie politique.
Il suffit de prêter l’oreille à certaines déclarations de candidats qui font le tour du cadran médiatique en promettant l’apocalypse s’ils ne sont pas élus à telle ou telle mairie pour mesurer ce rapport pathologique au pouvoir qui affecte une majorité de politiciens. Certains appels à peine voilés aux armes ne sont pas pour contribuer à la sérénité du tribunal électoral qui doit décider de la validité des contestations. Lequel tribunal électoral doit aussi éviter de faire durer le … supplice des candidats qui s’estiment lésés. Heureusement qu’il y en a d’autres qui appellent leurs partisans au calme et qui s’en remettent malgré leurs frustrations aux décisions du tribunal électoral - Ceux-la méritent un « grand coup de chapeau » et se glissent déjà dans les vêtements de futures femmes et hommes d’Etat.
Dans son discours de ce premier janvier, le président de l’assemblée nationale a mis en garde contre les tentations partisanes qui obstruent les chemins non encore balisés de la réconciliation prônée par le chef de l’exécutif. Les vieux démons sectaires qui ruinent les sociétés en mal de développement s’invitent à tous nos rendez-vous qu’ils soient commémoratifs ou électoraux. La tragédie du peuple somalien qui se débat depuis de longues années dans une interminable guerre civile est l’exemple à ne pas suivre. Un proverbe somalien affirme « Moi et mon clan contre le monde, moi et ma famille contre le clan … ». Appliqué en politique et en pratiques du pouvoir, cela débouche sur d’épouvantables charniers. Les sursauts suicidaires qui agitent le corps social haïtien devront faire l’objet d’analyses, de forums, de débats dans les universités et les écoles pour prévenir le retour de ces crises atypiques à toute société de droit. La situation somalienne est le miroir déformant de ce qui peut arriver à une société qui refuse de tirer les leçons de l’Histoire. Après l’indépendance de ce pays frère, la division des clans unis contre le colonisateur a refait surface, exacerbé par le jeu politicien entraînant la déliquescence de l’Etat. Car il n’est pas vrai, ‘‘qu’un pays ne meurt jamais’’. Si la chute continue, des profondeurs insondables nous guettent. Il ne s’agit certes pas de jouer au ‘‘déclinologue’’ et de transformer le pays en vallée de larmes à force de se lamenter. Il s’agit de méditer sur notre histoire et de prendre les bonnes résolutions. Le Parlement donne ces jours-ci l’exemple sur les questions liées à la sécurité, les forces de l’ordre ont montré qu’elles pouvaient maîtriser globalement la situation, du moins pendant la période des fêtes.
Pourvu que cela dure opine le simple citoyen. Quant au gouvernement, il doit ‘‘gouverner’’ pour ne pas laisser libre cours aux fantasmes débridés des uns et des autres, la nature ayant horreur du vide même apparent. A ce propos, on attend les discours des dirigeants sur l’état de la nation lors de la rentrée parlementaire fixée au 8 janvier.
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