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Sunday, December 09, 2007

« Le bateau ivre »

« Le bateau ivre »

L’école haïtienne est malade et ceci n’est pas une nouvelle. Elle souffre d’un grave problème de définition et son rôle et sa mission demeurent dans un flou artistique complet. Depuis que l’Etat lui-même est devenu fantomatique et cela ne date pas d’hier, l’école de la république n’est que l’ombre d’elle-même, une coquille vide sur les eaux démontées d’une société chaotique. Une usine dont la machinerie désuète est envahie par la houille et qui fabrique de la pacotille. Mais comparaison n’est pas raison, car dans le cas qui nous concerne il ne s’agit pas de produits textiles mais de filles et de fils à former comme nous le chantons chaque matin dans notre hymne nationale.

La question d’adapter l’école aux défis de l’heure dépasse nos frontières. Toute proportion gardée, la France elle aussi constate avec appréhension que l’illettrisme gagne du terrain et qu’environ 300.000 enfants arrivaient au Secondaire sans savoir bien lire. Un confrère du Nouvel Observateur notait que les dernières réformes introduites en cascade avaient accentué le mal-être et que les débats « théologiques entre méthode globale et méthode syllabique » étaient autant d’exercices en futilité par rapport à la réalité du terrain qui rappelle un véritable bourbier pédagogique. Dans l’Hexagone de plus en plus d’enfants écrivent dans une langue ponctuée « à la diable, bourrée d’abréviations venues du langage SMS ». Toujours selon l’enquête de nos confrères du Nouvel Obs. qui ont rencontré un large échantillon de professeurs du Primaire, les abréviations comme « A 12C4 » ou « TEOU » : lisez, t’es où ? font fortune et des enseignants croient que pour se faire entendre de leurs élèves, il faut dans certains quartiers parler « banlieues ». Le linguiste Alain Bentolila de passage chez nous, aux temps bénis de l’Institut Pédagogique Nationale a réalisé un diagnostic précis de la situation dans un ouvrage intitulé : « Urgence école : le droit d’apprendre, le devoir de transmettre ».

A Port-au-prince, lors d’une conférence à la Fondation Culture Création vendredi dernier, le poète Georges Castera se posait la question si les nombreuses transformations subies par le créole à la faveur des mutations sociales de ces dernières années et spécifiquement reflétées dans le Babel médiatique ne constituaient pas à terme une menace pour l’apprentissage d’une langue où l’on s’autorise toutes les libertés.

Au centre du débat gît la problématique de l’école haïtienne à construire au-delà de tout intégrisme linguistique dans le sens des intérêts bien compris de ce peuple, en s’éloignant des rives du folklorisme, du parler simplifié qui ferait plus « peuple ».

Dans ce contexte, la création du COSPE, un regroupement d’associations et de fédérations d’écoles privées qui se propose d’améliorer les offres en matière d’éducation et de participer dans un partenariat stratégique avec l’Etat d’Haïti au renouveau de l’école haïtienne est une initiative rafraîchissante. D’autant qu’il s’agit à en croire les assises du 4 Octobre dernier à El Rancho, de renforcer la gouvernance étatique, tout en assumant qu’un secteur privé réglementé et respectueux des normes ne peut qu’aider à la transformation d’un système éducatif devant être le socle de l’Etat Républicain.

Le philosophe Jacques Billard disait que l’école est à la nation ce que la constitution est à l’Etat : sa raison. Car en son fond en citant Platon, l’homme est une cité en réduction et la cité est un homme en grand.

Roody Edme

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