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Thursday, August 03, 2006

« Bagdad blues »


Il a fait ces derniers semaines à Port-au-Prince, « un temps à ne pas mettre un chien dehors ». La capitale a vécu au rythme enfiévré d'une insécurité généralisée aux causes multiples. La population inquiète ne savait où donner de la tête, pendant que s'affichaient sur des sites Internet des titres à donner la poisse comme : « Haïti glisse à nouveau dans les chaos ».

Le silence des autorités avait vite laissé le terrain aux rumeurs les plus folles et aux supputations les plus fantaisistes relayées sur certaines ondes. Il parait que les autorités gouvernementales étaient occupées à préparer la conférence des bailleurs et que, c'est une vérité de la palisse, nos ressources techniques sont si insignifiantes que, préparer des travaux de cette envergure absorbe tout notre appareil étatique déjà anémié et esquinté.

La vérité est aussi que le niveau d'insécurité atteint ces derniers temps dans le pays dépasse de loin les maigres ressources et l'expertise nationale, en même temps que la MINUSTAH a du mal à retrouver ses marques dans un mandat qui reste à préciser. Ne parle-t-on pas pour le Sud Liban d'une force plus robuste, plus efficace que celui impotente de la FINUL. Il y a moyen de négocier pour Haiti un meilleur redéploiement des forces et rechercher une plus grande efficacité à un moment ou le gouvernement de la République fait montre de tant de volontarisme pour l'avenir du pays.

La criminalité a pris avec la mondialisation des proportions gigantesques et les moyens à la disposition des multinationales de la terreur dépassent de plusieurs fois le budget d'un petit Etat comme le nôtre. Marie-Christine Danion experte en Géoéconomie a dans une étude récente signalée que : « La mondialisation offre d'importantes opportunités pour les criminels et la lutte contre l'argent mafieux et terroriste devient de plus en plus difficile. Le fait qu'il n'existe pas jusqu'à présent de système juridique international adapté et que la coopération répressive internationale reste insuffisante explique en partie cette situation. La lutte contre le financement terroriste est également rendue complexe par sa spécificité… il s'appuie sur un système difficile à percer : organisations caritatives, transferts de fonds informels qui sont autant d'univers où se mêlent divers intérêts étatiques et religieux ».Que l'on songe un instant au matériel de guerre disponible dans nos quartiers pauvres, des fusils d'assauts qui ne sont pas fabriqués ni aux Gonaïves, St Marc ou Port-au-Prince. Par quels circuits sont-ils arrivés jusque-là ? D'où vient l'expertise de ces « combattants » ? Au nom de quelle idéologie on s'entretue à Martissant, sinon pour un quelconque partage de butin. Un poison a été inoculé dans le corps social et le mal répand la terreur partout dans la ville. Port-au-Prince n'est certes pas encore Bagdad, ni même Cali ou Bogota, mais qu'on se rappelle il y a peine deux ans, le Kidnapping ne se voyait chez nous qu'à la télévision. Le pire n'est pas encore arrivé, on peut continuer la descente aux enfers.

A la faveur de la conférence des bailleurs, le gouvernement a fait une sortie apparemment sans faute, annonçant des mesures économiques, sociales et assurer vouloir poursuivre avec la «table de concertation politique», ce qui est de bonne guerre. Mais, il faut garder le momentum et toujours montrer qu'il y a un pilote dans l'avion. Quant à la société civile, elle doit poursuivre la mobilisation dans le sillage du forum de radio Caraïbes autour de l'insécurité. La réforme judiciaire est en outre une urgente nécéssité qui ne doit pas se heurter au tir de barrage corporatiste habituel, chaque fois qu'il faut changer quelque chose dans ce pays.

Le parlement a fait montre jusqu'ici d'une présence médiatique certaine, quoique dans certains cas un peu tapageuse. Mais la bonne volonté est là et tout le monde à l'air conscient de l'ampleur de la tâche. Les bonnes notes du gouvernement Préval-Alexis sont jusqu'à présent la politique étrangère et un début de dialogue national. Reste… l'insécurité et les nombreux défis socio-économiques. Mais si cela est de la responsabilité des dirigeants de gouverner, toute la société doit se mobiliser pour marginaliser cette violence rampante qui mine le tissu social haïtien. Ne serait-ce que pour empêcher à notre pays de devenir comme cet Etat mythique inventé par un écrivain des pays de l'est :

« L'Absurdistan »

Roody Edmé

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