Wooley Saint Louis Jean : Guitare à la main, les pieds sur terre
J’ai découvert pour la première fois Wooley Saint Louis Jean au hasard d’une émission culturelle sur Radio-Kiskeya. En ce temps-là, le poète Lyonel Trouillot recevait le chanteur qui sortait son premier C.D. Quand deux créateurs se rencontrent, l’enterview n’est plus seulement professionnel, il y a comme une vibration dans l’air qui plait à l’auditeur. Il me vient alors un écho, une autre rencontre, il y a quelques années, entre un homme de scène Richard Brisson et Manno Charlemagne. C’était à Radio Haïti, au studio bleue de la Rue du Quai, à l’époque des chants de ‘‘partisans’’ et du souffle épique de la révolution démocratique. La chanson, comme les mythiques trompettes de Jéricho pensait pouvoir faire tomber les murailles du despotisme. Le phénomène Manno brilla plusieurs années jusqu’au jour où comme le comédien Coluche, il voulu faire de la politique. Coluche fut plus ‘‘chanceux’’, il ne devint pas président et ne perdit jamais son humour. Manno devint maire et oublia de chanter.
Wooley Saint Louis Jean tout en suivant le « maître » n’a pas le profil d’un gourou et n’en a pas du tout l’aura. Si Manno était par excellence le ‘‘chanteur-guerillero’’, Wooley porte sans prétention une parole humaine, revendicatrice certes, mais aussi imprégnée d’amour pour la femme. De cette charge d’amour subversive que porte les textes d’un Castera ou d’un Sito. Dans cette conjoncture où il fait ‘‘un jour plus sombre que la nuit’’ notre chansonnier veut laver les pieds de sa belle ‘‘jouk tan lan nwit kimen jou’’. Et le poème poursuit sur une esthétique du renversement, l’amour commence par les pieds de la femme : ‘‘paske lanmou jouke tet anba’’. L’ordre du monde est alors renversé dans une déclaration d’amour subversive qui se joue des conventions dans le style pure laine d’un Castera.
Quand Wooley est sur scène, le spectacle est total, toutes les ‘‘couleurs idéologiques’’ se mettent à briller : les écologistes, les féministes, les altermondialistes, les jeunes militants de notre université longtemps opprimée, les ‘‘gavroches’’ de nos rues insurrectionnelles. Tout ce monde chante, danse, tape des mains, visages expressifs, regards farouches vers un quelconque horizon indépassable. Le chansonnier avec la même magie de ‘‘l’ancêtre’’ Molin de la plaine des Cayes (clin d’oeil à Jean Coulanges), est aux commandes de cette assistance, à l’institut français ou à Fokal, que fait tanguer une musique qui refait le parcours de l’émigré jusqu’aux grandes métropoles occidentales « rédemptrices » de la misère ‘‘pou pa kite pousié mizé manje nou …’’ selon la prose de Sito!
Si Manno Charlemagne est l’icône, l’incarnation de toute une jeunesse, le chanteur du printemps démocratique haïtien, Wooley Saint Louis va simplement son chemin de samba prêtant sa chaude voix aux multiples florilèges de nos créateurs. L’homme sans sa guitare est un grand timide et n’est dans son élément que sur sa scène. Et pourtant, il y a chez cet artiste, une envie de vivre et un sens de l’amitié qui fait qu’il est apprécié de tous ceux qui l’entourent. A l’instar de ce célèbre photographe qui se mit à photographier les ombres porteuses des sculptures de Giacometti pour en révéler en tout autre aspect de l’oeuvre du sculpteur italien. La voix de Wooley Saint Louis Jean offre une autre perspective des textes de nos poètes. Après la perte des idéaux et des idéologies, le retrait du divin et du sens, le choix des textes de Wooley Saint Louis dévoile une poétique de l’engagement visant l’élémentaire, nourrie du désir de revenir à la plus humble, la plus proche des réalités. Le poète a les pieds dans la boue fétide de nos rues fangeuses, une plume ou un micro à la main, la tête dans les étoiles.
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