Ailleurs vu d'ici

Global Voices en Français

Monday, January 29, 2007

« Quand la ville tue »

Les villes du monde sont devenues des espaces féconds d’une insécurité rampante et de son corollaire, le délire sécuritaire. Dans les grandes métropoles du Nord : voitures blindées, caméras cachées dans les lampadaires, écoutes électroniques font partie de la panoplie des gadgets déployés pour assurer un minimum de survie dans ces jungles urbaines. Outre que les mafias traditionnelles se sont modernisées en se mettant aux dernières technologies, des terroristes réels ou apprentis rêvent de raser les tours dressées dans le « mitan » des villes, poussés par on ne sait quel complexe de castration.

Chaque jour, des milliers de personnes craignent de ne pas remonter des métros souterrains de Londres, Madrid ou Tokyo. Quant aux grandes cités américaines, les habitants doivent désormais avant de sortir consulter une nouvelle météo, celle qui défile au bas des écrans de télévision et annoncent la côte d’alerte en matière de sécurité.

Bagdad, la capitale de l’Irak est un "cratère" en activité permanente, en dehors de la zone verte, oasis pour les diplomates et autres honorables correspondants. Une zone verte qui, comme « un indicateur coloré » de l’insécurité tourne de temps en temps au gris sombre quand explose ces mécaniques mortelles déclenchées par la guérilla urbaine.

Dans le reste du tiers-monde livré à la pauvreté et aux pathologies de toutes sortes, s’opère une socialisation autour d’une criminalité organisée. En 1991, Jean Christophe Rufin constatait déjà que « la progression des réseaux de drogue procède, dans les zones urbaines, à l’installation de véritables contre-pouvoirs clandestins incluant la corruption politique et policière ». Dans certains bidonvilles d’Amérique Latine et d’ici, ce qui frappe c’est l’absence totale de protection familiale qui livre des enfants à peine nés à une vie de jungle, abandonnés, ils apprennent comment perdre leur humanité et sont soumis à la loi des chefs de bandes qui leur offre « protection et sécurité ».

Les salles d’urgences des hôpitaux dans les quartiers populaires rappellent des antennes de chirurgie de guerre tant y sont légion les blessures par balles et à armes blanches. Toute cité jadis prospère comme Beyrouth ou Bagdad peut sombrer dans la barbarie nous rappelle encore Jean Christophe Rufin. Mogadiscio, capitale déserte, de la Somalie où le pouvoir s’acharne à résister à des adversaires multiples, hostiles entre eux, ivres de haine et ne respectant rien en est un exemple tragique. Quant à notre Port-au-Prince, elle a depuis quelque temps renoué avec son appellation coloniale, Port aux crimes ! Les riverains du bas de la ville et de l’avenue John Brown se souviennent pourtant du temps jadis, où l’on revenait à onze heures du soir d’un festival de films fantastiques du cinéma Capitol, pour s’arrêter en face de la ruelle Jardine chez la célèbre Madame Jean, consommer quelques fritures et se remettre de ses peurs toutes virtuelles d’un « vendredi 13 » ou d’un « exorcisme ».

A cette époque le coin du Poste Marchand servait encore d’ancrage au « cercle des poètes disparus » ou forcés à l’exil. Des bandes de badauds qui n’avaient pas perdu leur innocence, remontaient du parc Leconte, un bout de canne créole à la main, en refaisant le score des matchs.

A l’instar des salons parisiens d’une autre époque, nous avions nos galeries : chez Philoctète, les Hérard, chez Frank … la rue était encore « le salon du peuple », l’ennemi public numéro un était connu, identifié depuis presque deux siècles, c’était l’État et ses dérives totalitaires. La ville ne se mordait pas encore la queue. En ce temps-la, nos voleurs étaient de jeunes chenapans que le cri outré de « baré » faisait détaler à toute jambe. Jusqu’au jour où le zenglendo, criminel d’une espèce en mutation, produit résiduel de la déportation et du banditisme politique entra dans nos vies et changea le visage de la ville. Depuis, de longs et inexorables murs de barbelés voilèrent la face de nos maisons ridées et de nos villas roses, « devan pot tounen déyè kay ». La vie de quartier fut mise en veilleuse. La peur étala ses immenses traînées sur une cité triste comme une veuve. Et chaque fois que la violence pointe au coin de nos rues, son mufle de méduse, on a envie de dire avec cette voix d’outre-tombe que « les assassins sont dans la ville ».

Roody Edmé

0 Comments:

Post a Comment

<< Home