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Thursday, August 31, 2006

« Le testament de Robert Mc Namara »


Dans un film à caractère autobiographique, qui a pour titre « the fog of war », l’ancien chef du Pentagone à l’époque des Kennedy et Johnson, Robert Mc Namara est revenu sur une longue carrière qui a vu ce super technocrate traîner sa bosse à la tête des plus grandes entreprises américaines, puis à la banque mondiale, pour devenir apparemment l’homme de l’engagement américain au Vietnam.

Pendant longtemps en effet, dans l’opinion publique, Mc Namara avait été perçu comme le faucon des régimes Kennedy et plus tard Johnson. On disait de lui qu’il était froid, pragmatique, et qu’il était à l’origine des bombardements massifs des B-52 au-delà du 17ème parallèle, lors de la très meurtrière guerre du Vietnam. Dans ce film particulièrement révélateur, ce stratège reconnu des plus grands think thank américains est revenu avec sagesse et gravité sur certaines décisions prises par les généraux de son pays pendant les guerres d’Indochine.


Ces années de distance ont porté Mc Namara à réfléchir sur certains choix stratégiques de l’époque, l’ampleur des dommages collatéraux par rapport aux résultats obtenus. On se souvient que les tonnes de bombes et de napalm déversées des années durant, sur le Nord Vietnam, n’ont pas empêché au bout du compte la chute de Saigon. On apprend dans ce film, particulièrement bien fait, que l’homme qui par patriotisme avait assumé les accusations de ‘‘criminel de guerre’’ émises par la gauche américaine, faisait valoir lors des réunions au bureau ovale de la maison blanche, de sérieuses réticences quant à l’escalade militaire au vietnam. Il n’est pourtant pas devenu pacifiste et sa terrible efficacité, contrairement à son visage n’a pris aucune ride. Cette sortie filmée de ce super manager que fut Mc Namara n’est malheureusement pas assez relayée par la grande presse. Cette prise de distance critique de la part de ce ‘‘produit’’ réussi, de la culture américaine de l’efficacité, pourrait servir d’exemple à bien de décideurs actuels aux Etats-Unis mais aussi au Proche-Orient.


Pour n’avoir peut être pas vu ce film, la bande à Ehoud Olmert à Tel Aviv a mené une guerre de trop. Le pari stratégique des chefs de Kadima avait été de réaliser une démonstration de force destinée à briser les reins au Hezbollah. Et, d’inspirer la peur de Tsahal dans toute la région, rétablissant ainsi la puissance dissuasive d’une armée réputée invincible : « Qui frappe par l’épée, périra par l’épée ». Seulement l’ampleur des dommages collatéraux a assombri une opération dite de self-défense et les résultats obtenus n’ont pas plu à une opinion publique israélienne qui de la gauche à l’extrême droite avait pourtant soutenue son armée. Aujourd’hui, on parle de l’incompétence des chefs politiques et militaires qui ont mal évaluée la capacité de nuisance du Hezbollah et des règles d’engagement flou d’une armée qui a semblé lutter avec son ombre. Et moins on obtenait de résultats sur le terrain, plus on bombardait avec rage comme pour étouffer sa propre impuissance. L’utilisation de bombes à fragmentation par l’aviation allait retourner une bonne partie de l’opinion contre l’opération israélienne. Robert Mc Namara a dans son film évoqué le danger de ces bombardements aveugles pour si peu de résultats. La voix neutre de l’ancien responsable de la Général Motors et du Pentagone commentait tout au long du film, au kilogramme près, la charge destructrice des paquets de bombes lancées de ces forteresses volantes que sont les B-52 de la US-Air-Force sur Hanoi. Il a ensuite exposé une assez surprenante théorie des proportions, à savoir, la quantité de dommages collatéraux pour chaque combattant tué. Appliqué au dernier conflit du Proche-Orient, on pourrait se demander combien de civils devaient périr pour deux soldats enlevés : « Proportion should be a guideline in war » affirme cet homme qui est loin d’être un humaniste ayant une larme à l’oeil. Les deux belligérants ont semble-t-il négligé les coûts humains et matériels d’une guerre dont les résultats sont d’autant plus flous que chacun revendique la victoire. Un autre enseignement de Mc Namara est de se mettre dans la peau de l’adversaire et de comprendre ses objectifs. Dan Hallutz, l’israelien et Nasrallah le libanais chiite, se sont laissés prendre à un petit jeu guerrier dont les conséquences étaient mal maitrisées.

Dans le cas du conflit du mois dernier, les résultats recherchés par Tsahal se sont plutôt inversés. Non seulement le Hezbollah s’est renforcé, mais la Turquie prenant exemple sur Israel, se demande si elle ne ferait pas un petit tour dans le Nord Irakien pour nettoyer les cellules du P.K.K embarrassant du coup les Etats-Unis. ‘‘Allez messieurs ! Remuez vos honorables fesses, et nettoyez le mont Kandy !’’ fulmine un éditorialiste turque à l’endroit des généraux d’Istanbul. Le coût de l’opération israélienne baptisée ‘‘pluie d’été’’ qui s’est transformée en un ‘‘Tsunami’’ avoisine les cinq milliards de dollars pour les deux pays, avec des pertes en vies humaines assez importantes, compte tenue de la durée et de la taille du conflit. Et tout cela, pour apprendre, que des négociations avaient commencé cette semaine, avec le Hezbollah, pour un échange de prisonniers.


On pouvait bien commencer par là ! N’est-ce pas ? En vérité, le film de Mc Namara devrait figurer en bonne place à côté de Clausewitz et de Sun Tsu dans les rayons des États-majors.

Roody Edmé

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