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Wednesday, December 14, 2005

Pauvreté, quand tu nous tiens !

Le nom "vaillant" d’haïtien est aujourd’hui vilipendé et associé à misère, instabilité politique et, menace. Pourtant, au lendemain de 1804, Haïti était aussi vécu comme "un défi, une anomalie, une menace" selon l’historien américain Reyford Logan, parce qu’elle montrait la voie à d’autres peuples opprimés de la terre.

Aujourd’hui, la tragédie de son peuple est exploitée par ceux qui veulent afficher leur supériorité, se sentir plus "qu’homme dans un monde d’hommes". C’est un vieux cliché de dire que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Mais il est prouvé que par vanité, l’on tire parfois une certaine satisfaction à se sentir mieux loger que l’autre. Ainsi va la condition humaine : tel père de famille, dira par exemple, la délinquance de son enfant est due à ses mauvaises fréquentations, il n’est pas rare d’entendre dire que ce sont les enfants du voisin qui pourrissent les nôtres. C’est peut être vrai, mais ce n’est pas toujours une vérité de la palisse.

Dans notre région, certaines autorités perçoivent Haïti comme un "agent déstabilisateur" qui menacerait d’autres sociétés. Et pourtant, le crime organisé et ses corollaires : séquestration de personnes, trafic d’armes sont des phénomènes assez récents dans notre pays. La poussée migratoire vers des terres apparemment plus clémentes est un phénomène mondial et constitue un défi pour toute la communauté internationale, ce n’est donc pas un problème haïtien. La revue française "Alternatives Internationales" a consacré son numéro du mois de novembre 2005 à cette migration forcée de millions de travailleurs dans le monde à la recherche de travail, un droit fondamental de l’homme. La revue constate que par ces temps de mondialisation, "le libre-échange ne concerne pas que les biens et capitaux".

Il existe en effet des centaines de travailleurs asiatiques dans les ateliers clandestins en France. Des familles en Europe avouent parfois avoir acheté tel petit bébé roumain ou vietnamien. Une véritable traite blanche est organisée par des trafiquants à travers l’Europe avec des femmes venues de l’Est. Corinne Moncell qui a enquêté sur ce fléau s’interroge : « la notion de traite des êtres humains concerne-t-elle la prostituée locale ou seulement l’étrangère? Englobe-t-elle le migrant prêt à payer un passeur pour partir à l’étranger? L’enfant d’un pays pauvre confié par ses parents à un oncle plus prospère et aussitôt mis au travail par celui-ci ? ». Autant de questions qui inquiètent les Nations-Unies, tant le phénomène prend l’ampleur. Des statistiques du département d’Etat affirment que 600 000 à 800 000 personnes sont victimes chaque année du trafic transfrontalier. La très sérieuse Organisation Internationale du Travail (O.I.T) parle de 2.45 millions de personnes "objets" de trafic de toutes sortes, toujours d’après les enquêteurs de la revue.

Haïti n’est donc pas, pour utiliser un autre cliché, le "fruit pourri" qui contaminerait les autres. Si pourriture il y a, ce serait dans la manière dont nos sociétés gèrent l’humain et font commerce de tout. Dans le traitement infligé à des milliers de personnes en état de vulnérabilité par certains pays États, alors que dans le même temps, on ferme les yeux sur certains trafics. C’est surtout dans cette pauvreté insolente, têtue qui avilit tout un peuple et dont on se sert, à l’occasion, comme épouvantail pour en effrayer d’autres.

En ce nouveau millénaire de tous les possibles sur le plan technologique, se déroule sous nos yeux, un marchandage inique, un commerce honteux d’êtres humains qui ne s’arrête pas à la couleur de la peau, ni même à la nationalité mais dont la marque de fabrique est la pauvreté. Celle-la même qui pousse l’humain consentant à ravaler sa dignité pour une bouchée de pain.

Depuis Cayo Lobos se poursuit la saga d’un peuple en quête d’un mieux être, peuple transfrontalier, peuple à la mer, taillable et corvéable à merci qui attend de ses futurs dirigeants qu’ils soient à la hauteur de ses espérances, pourvu qu’encore une fois, on ne fasse pas que remuer le couteau dans la plaie.

Roody Edmé

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