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Friday, September 22, 2006

Il était une fois le non alignement!

1955, A Bandung en Indonésie, 29 pays d’Afrique et d’Asie donnent naissance au mouvement des " non-alignés " qui réunit plus de 50% de la population mondiale.

Le Tiers-monde fait une entrée spectaculaire sur la scène internationale et entend parler d’une seule voix comme une " internationale des pauvres " selon le mot de l’Egyptien Nasser. C’était l’époque de la confrontation idéologique entre l’Est et l’Ouest et ne pas appartenir à l’une ou l’autre galaxie (américaine ou Russe) paraissait impossible sur le plan géopolitique.

Cette année-la, le débat idéologique faisait rage en France, et Jean Paul Sartre faisait jouer au théâtre Antoine à Paris, sa pièce polémique " Nekrassov " comme pour répondre aux détracteurs de l’URSS considérée à l’époque comme la Mecque du socialisme. Et le poète martiniquais Aimé Césaire de commenter une année plus tard, dans la revue " les temps modernes : « ce qui a été condamné à Bandung, ça n’a pas été la civilisation européenne, ça a été la forme intolérable qu’au nom de l’Europe certains hommes ont cru devoir donner aux relations qui devraient normalement s’instaurer entre l’Europe et les autres peuples du monde… 1885, L’Europe se réunissait à Berlin pour se partager le monde ; 1955, le monde s’est réuni à Bandung pour signifier à l’Europe que le temps de l’empire européen est fini ( …) ». Mais, on était loin d’une belle unanimité, les principes de neutralitésoulignés en lettres capitales dans la déclaration finale n’ont pas empêché les tensions entre les pro-occidentaux Pakistan ou Turquie et les non-engagés, Inde ou Egypte.

1961, Belgrade un 2 septembre. Des leaders historiques comme Sukarno, Bourguiba, Tito se retrouvent encore une fois dans le sillage de Bandung. Cette réunion donna lieu à de beaux manifestes sur l’égalité des civilisations et souligna à l’eau forte l’aspiration des peuples ; c’est Senghor qui affirme : « Le " Bon nègre " est mort, les paternalistes doivent en faire leur deuil. ». Mais la réalité sur le terrain contrarie les idéaux les plus nobles : faute de tradition démocratique, les nouveaux Etats ont presque toujours adopté des régimes autoritaires gangrenés par la corruption et le clientélisme. L’instabilité politique particulièrement forte en Afrique et en Amérique latine n’a pas permis au tiers-monde de se défaire de ses liens de dépendance, au contraire.

2006, à la Havane, le mouvement a pris de l’amplitude en termes quantitatifs, d’autres pays comme Haïti s’y sont associés mais le bilan est plus que mitigé. Ce qui a changé c’est que le monde est devenu multipolaire, certains pays d’Asie et d’Amérique latine sont entrés dans la cour des grands. La Chine est devenue une grosse " cylindrée " de la croissance, L’Inde une puissance technologique, Le Brésil est désormais plus que le pays du " football et du café ". Ce qui a changé c’est la disparition de l’URSS, la " patrie "du socialisme s’est fossilisée et les promesses de lendemains qui chantent ont gelé en Sibérie.

Ce qui n’a pas changé, c’est la misère des peuples accablés par la faim et la violence. Avec en prime, ces jours-ci, l’affrontement des vérités théocratiques qui divisent encore plus un monde menacé d’embrasement.

La réunion de la Havane a cherché à se fédérer contre " l’hégémonie américaine " et, sur les " ruines " d’une parole libératrice relancer le débat autour de la problématique du tiers-monde. Mais tout comme à Belgrade en 1961, à la Havane en 2006, " L’internationale des pauvres " doit résoudre quelques problèmes internes : la rivalité sourde entre le Venezuela et le Guatemala pour une place au conseil de sécurité, la question des hydrocarbures entre le Brésil et la Bolivie, autant de questions débattues dans les couloirs de la conférence. Apres Belgrade, la Havane a été une opportunité de " penser ailleurs " pour reprendre l’expression d’un écrivain haïtien, mais elle a été aussi l’occasion de rendre un ultime hommage au dernier homme politique de la génération de la trilatérale : Fidel Castro Ruz.

Roody Edmé