L’histoire a de ces paradoxes qui nous portent à nous défaire de notre paresse intellectuelle, bousculer nos grilles de lecture traditionnelle, développer une vision moins manichéenne des évènements.
Dans un tel domaine, il faut se garder de conclusions hâtives, car chaque phénomène historique est un arbre qui cache une forêt d’intérêts. Devant tel acte apparemment « révolutionnaire » et ou « humanitaire » se cache des forces occultes qui entendent mener les évènements dans une direction conforme à un agenda pré-établi. Telle grande puissance s’engagera dans un pays si et seulement si elle y voit son intérêt. Des hommes d’affaires continuent à s’affairer en Irak en dépensant des fortunes, pour leur sécurité personnelle, qu’ils savent pouvoir tirer en faisant affaire dans le pétrole.
Ce qui se passe au Proche-Orient est une bonne illustration de ce qu’on pourrait appeler un terrain historique mouvant qui, en plus des positions de principe, réclame de la part de l’observateur un sens poussé de la nuance, si l’on veut appréhender le jeu des acteurs.
Le peuple libanais qui avait dans sa grande majorité, toute tendance confessionnelle confondue, appuyée la résistance du Hezbollah à l’offensive israélienne de l’été dernier se retrouve aujourd’hui diviser sur l’agenda de la milice chiite. A quoi bon résister si farouchement à Israël pour se retrouver inféoder à Téhéran ou à Damas, via la milice chiite interposée, se questionne-t-on dans les rues de Beyrouth. Autre fait historique marquant ; la longue et douloureuse histoire du peuple juif n’entraîne pas ipso facto une solidarité de ces derniers vis-à-vis des aspirations légitimes du peuple palestinien. Dans ce domaine comme dans un autre, la solidarité n’est pas automatique, parce que les Hommes sont ce qu’ils sont, d’abord centrés sur eux-mêmes. Le reste n’est que « mythe » et effet de civilisation.
De même, les intérêts supérieurs de la résistance à Israël n’empêchent nullement le Fatah et la Hamas de s’entre-déchirer pour le contrôle du pouvoir et de ….. l’aide étrangère. La belle histoire de solidarité outre-atlantique, au cours de la seconde guerre mondiale, qui a vu les G I’s libérer Paris a par ailleurs été légèrement ternie par les manœuvres de coulisses visant à remplacer le général De Gaulle par un autre général français plus docile, plus « américain » moins têtu que l’homme de l’appel du 18 juin. Ce sont donc les intérêts des Etats et des groupes qui font se mouvoir les acteurs et évoluer les rapports de force. Un sénateur de la puissante commission des affaires étrangères du sénat des Etats-Unis se demandait pourquoi son pays dépensait des milliards de dollars dans la “désastreuse expérience Irakienne ” alors que Haïti à quelques mille de la Floride poussait comme une herbe folle dans le jardin des amériques ? Je pense à ce niveau, qu’il s’agit d’une interrogation de type oratoire dont la réponse est implicite !
Y aurait-il donc si peu de vertus en histoire ou se « perdent-ils dans les intérêts comme un fleuve dans la mer » pour reprendre ce vieux dicton de LaRocheFoucauld. L’histoire est coutumière de ces retournements d’alliance où le petit copain d’hier devient l’ennemi qu’on avait soi-même contribué à rendre redoutable, Ben Laden en est l’exemple le plus sanglant !
De même, l’échec américain en Irak, si il apparaît aux yeux de certains comme une « sévère raclée donnée à des forces impérialistes » ne doit pas faire oublier aux Arabes et aux Irakiens qu’ils sont aussi de grands perdants dans un conflit qui dégénère en guerre civile. Après la victoire de Hanoї lors de la guerre du Vietnam, les vietnamiens ont pu réaliser l’unité de leurs pays. Aujourd’hui, rien n’est sûr en Irak, qui offre le spectacle d’un Etat-nation décomposé. A Bagdad comme à Sadr city l’insurrection dévore ses propres « fils » parce que certains musulmans préfèrent prier le Prophète au lieu de son cousin, une longue histoire qui remonte aux origines du différend entre sunnites et chiites et qui débouche sur des massacres en série. Les américains pourraient perdre la guerre mais les Irakiens un pays...si cette logique confessionnelle n’est pas dépassée au profit de l’intérêt national irakien. Alors seuls les irakiens seront perdants, tandis que Américains, Iraniens, Syriens continueront implacablement leurs luttes d’influence au détriment de l’ancienne Mésopotamie en invoquant leur propre lecture de la solidarité. En Somalie, les Seigneurs de la guerre ont fait échec à l’expédition humanitaire internationale pour ensuite se livrer en toute « souveraineté » au dépeçage de leur propre pays dont la carcasse exsangue gît dans la corne de l’Afrique. Il y a donc « nationalisme » et nationalisme. Là encore, la nuance est de rigueur. L’échec de Lumumba au Congo et l’état crapuleux de la première République noire sont le fruit d’un infantilisme politique qui continue de peser lourd sur nos destins de peuples. Aujourd’hui nos deux pays sont sous mandat international pour avoir perdu le sens de l’histoire.
L’histoire d’Haiti regorge de faits qui ont sérieusement mis à mal notre slogan national « l’union fait la force ». Les ambitions des uns et des autres n’ont pas attendu deux ans après l’indépendance pour s’acharner sur le cadavre de l’Empereur ouvrant ainsi de manière spectaculaire le chapitre interminable des crises de notre Histoire. La maturité d’un peuple se mesure à sa capacitè à dégager de la faune sauvage des intérêts privés le minimun national nécessaire au progrès et à la stabilité. Alors seulement nous serons épargnés du discours condescendant de nos voisins et qui sait susciter l’intéret de ceux ou celles qui face à notre dénument détournent pudiquement le regard. Mais en attendant, il faut se donner les moyens de cette renaissance, en combattant avec la dernière rigueur, ceux dont les intérêts du moment s’opposent à la stabilité et au retour de l’investissement privé international sabordant ainsi l’intêret national. Les difficultés actuelles montrent que nous aurons encore besoin de plus d’alliés, au lieu de faire le vide autour de nous, sachons profiter de la solidarité offerte, tout en sachant que la gratuité absolue est un mythe, et surtout en travaillant à la rendre plus agissante. La véritable émancipation viendra, lorsque nous aurons conjuré les fantômes de la division, et alors seulement nous pourrons reconduire nos invités à la porte. Le faire avant et sans préparation, c’est se construire mentalement une sorte de « ligne Maginot » idéologique qui procurerait l’illusion de la souveraineté et de l’intégrité du territoire. L’historicité d’un événement vient de sa capacité dans un sens ou dans un autre à modifier le cours des événements ultérieurs. Son analyse déborde sa stricte réalité, puisqu’il convient d’en étudier aussi bien les conditions, en permettant la réalisation, que les effets à court ou long terme. Pour construire cet avenir de toutes les émancipations, n’oublions pas chemin faisant, ce projet annonçé de gouvernance sur vingt cinq ans, un peu à l’instar de l’Inde de Nehru aujourd’hui pays émergeant.
Roody Edmé